Textes
Nishioka Tsuneo Sensei
Respirer  –  Ko-kyû et Kokyû-Ryoku 1
Extrait traduit du livre « Japanese Swordsmanship »
de Malcom Tiki Shewan Sensei - Juin 2014

Pascal Krieger Sensei
On parle souvent dans les Arts Martiaux de l’importance de la respiration correcte et de son rôle clé comme source de puissance dans les mouvements. Pourtant, j’ai plutôt constaté que très peu de connaissances concrètes sont transmises sur ce thème primordial.
Généralement, l’élève apprend quelques exercices respiratoires fondamentaux à partir desquels il est supposé découvrir et percevoir à travers sa pratique tout ce dont il a besoin pour comprendre le Kokyû. Cela se produit ou non. Par ailleurs, il entend souvent dire que le problème majeur dans toutes ses techniques se ramène à la question de la respiration. 
La respiration est en fait un sujet si vaste et si propice aux interprétations qu’il est quasi-impossible de proclamer de "vérités universelles". Cependant, quand elle est faite correctement, on peut "sentir" qu’on est sur la bonne voie.
Tiki Shewan Sensei
Vicente Borondo Sensei
Je voudrais ici partager avec le lecteur quelques idées qui m’ont été instructives et utiles. Parallèlement, je ne souhaite pas affirmer que "c’est comme ça" ou que c’est LA bonne méthode. 
 
Il y a un certain nombre de mots que nous avons l’habitude d’inclure dans le vocabulaire de toute étude du Bu-dô. Examinons quelques-uns d’entre eux et leur signification, puis je les assemblerai d’une manière qui, à mon sens, aidera à saisir une partie du sens à donner à "respirer". 
 
Ko-kyû se compose de deux signes (cf. calligraphie de Pascal Krieger Sensei sur photo ci-après), 
 
呼: Ko ou Yobu qui a pour significations appeler, inviter, ou plus généralement expirer/souffler. 
 
吸: Kyû ou Suu qui a pour significations siroter, absorber, aspirer ou inspirer/inhaler.
 
Le mot pris dans son ensemble peut prendre plusieurs sens en japonais, dont, bien sûr, le simple acte de respirer. Il peut aussi être extrapolé pour évoquer "timing", "mouvement", "usage adéquat de la force", "harmonie en mouvement", etc.
Gilles Tache Sensei
Loris Petris
Expressions personnelles
Voyons-le ici comme la définition d’un processus universel de "remplir et vider", "accumuler et disperser" ou encore "croître et dépérir". De cette manière, le concept prend une dimension supérieure. 
Par exemple, le "Ko-kyû" de la mer peut être vu comme les marées, celui de la Terre pourrait être sa rotation annuelle autour du soleil ainsi que les saisons, le "Ko-kyû" du jour et de la nuit, le "Ko-kyû" d’une vie humaine. Toutes ces évolutions cycliques que l’on peut observer en nous-même, dans la Nature et dans l’Univers peuvent toutes représenter un processus de "Ko-kyû". L’image qui a été la plus forte et la plus nette pour ma compréhension du Ko-kyû est celle de la mer et des marées. En effet, j’ai grandi près de l’Océan Pacifique, passant quasiment chaque jour sur l’eau ou dans l’eau. Quelqu’un qui n’a jamais côtoyé la mer trouvera dans la Nature un autre exemple le concernant sans doute plus – les saisons, les cycles biologiques ou planétaires, les cycles géologiques, etc. Néanmoins, je pense que voir l’Univers comme notre professeur est une bonne méthode pour avancer.
Dans la pratique d’un Bu-dô, toutefois, nous sont données un certain nombre de pistes et d’indications que nous devons suivre pour que nos mouvements physiques se transforment en techniques efficaces et naturelles. 
 
- Les mouvements expansifs, centrifuges, vers l’extérieur ou vers le haut, sont des moments où l’énergie s’accumule et est mise en réserve. C’est ici que le plus souvent on inspire. 
 
- Les mouvements comprimants, centripètes, vers l’intérieur ou vers le bas, sont des moments où l’énergie "jaillit" et est utilisée pour agir. C’est ici qu’on expire. 
 
- Il y a deux phases où la marée arrive au maximum de son processus perpétuel (marée étale) et où il y a une absence (apparente) de mouvement (mais pas un arrêt du processus). Cela se produit bien sûr à la fin de la marée descendante (étale de basse mer) et à la fin de la marée montante (étale de pleine mer). Ce sont des moments "magiques" qui constituent un aspect très important du processus global – sont-ils la fin d’une phase ou le début de la suivante ?
Toute cette approche "cyclique" des choses amène immédiatement, et assez justement, le lecteur à penser au Taoïsme, au Yin-Yang, etc. C’est dans cette ancienne école de pensée chinoise que nous trouvons les bases de la respiration du Bu-dô – la respiration de l’être humain ; tout comme la myriade d’autres sujets qui cherchent à équilibrer leur processus autour de l’idée de "In-Yô" (équivalent japonais du Yin-Yang). En fait, le concept de In-Yô est probablement le concept le plus fort et le plus répandu dans la pensée japonaise, bien que largement sous-entendu et peu exprimé.
Par exemple, le "Zen" du Bouddhisme Zen, cet aspect unique vers lequel nous sommes le plus attirés, est principalement un résultat de l’influence Taoïste. Cette étude ne fait pas partie du cadre de ce livre, mais pour ceux qui voudraient approfondir le sujet, ils peuvent lire certains travaux, comme « The Tao of Zen » de Ray Grigg. On ne peut approcher l’Art et la Culture du Japon, sous quelque angle que ce soit, sans être profondément conscient de ce fait. Mais il semblerait que le Taoïsme soit passé sous silence et les choses sont en général présentées comme "allant de soi". C’est seulement à force de rencontrer encore et encore ces mêmes concepts dans les disciplines que l’on étudie, que l’on devient convaincu de la présence sous-jacente de ces principes communs. Regardons donc comment ils s’expriment dans la respiration.
L’inhalation est appelée "Yô no Ugoki". On peut le traduire par "transformation vers un état (Yang)" ou "accumulation d’énergie Yang". 
 
"Yô-kyoku" signifie "état Yang" ou plénitude. 
Ainsi le mouvement s’arrête à l’étale de pleine mer – avant de s’inverser en "transformation vers l’état Yin" ou "In no Ugoki". 
Quand ce processus atteint "l’étale de basse mer" on l’appelle "In kyoku". 
 
Ainsi, en appliquant ceci au mouvement Shô-men-uchi, "Yô no Ugoki" désigne la montée du sabre jusqu’à "Furi-kaburi" où l’on atteint "Yô-kyoku", puis le processus énergétique s’inverse et la marée commence à refluer. Tout comme pour la marée, cela démarre doucement et gagne en force et en énergie. L’impact de votre frappe devrait se synchroniser avec la plus forte des "In no Ugoki" (expiration). Si cela est fait correctement (avec Ki-Ken-Taï), la coupe sera la plus puissante que l’être humain puisse réaliser.
Au début on apprend (assez artificiellement) cet enchaînement jusqu’à ce qu’il devienne normal et naturel. Cela demande beaucoup de répétitions, ce qui fait partie du travail que l’on nomme Su-buri. D’abord, on se limite à des mouvements relativement simples et éventuellement effectués lentement afin de pouvoir les réaliser correctement. Ensuite on peut introduire la vitesse dans l’équation. Plus tard, on peut réaliser deux coupes (devant et derrière) Zen-gô-giri (avec un pivot du corps) en une seule expiration (In no Ugoki). On peut enchaîner avec des exercices dans trois ou quatre directions (Shi-hô-giri) en portant toujours attention au respect d’un schéma respiratoire spécifique. 
 
Ces exercices (et bien d’autres encore), tout comme le Waza de l’école, vont apprendre à l’élève comment respirer, et sous l’œil attentif du professeur, il va être guidé dans l’acquisition correcte d’une coordination respiration/mouvement. Il va sans dire qu’il s’agit d’une étude longue et assidue et qu’il n’y a pas un "chemin unique" gravé dans le marbre. 
 
Ces éléments devraient peut-être vous fournir une base de départ pour comprendre où il faut faire attention, quand vous vous attaquez à la question de respirer. 
 
Mais ne retenez pas votre souffle ! 
1 Kokyû-Ryoku : Souffle de vie ou Force de vie.